Les Gentilshommes du Rebecca - Journal de bord

Ha, Tamara ! Que le Rébecca avait fière allure avec ses voiles si uniques ! Assurément, elles allaient contribuer grandement à notre réputation. Car être parmi les meilleurs ne suffit pas : il faut aussi que cela se sache. Et quel meilleur moyen qu’une arrivée en fanfare à notre glorieuse capitale ?

Et je n’exagère pas pour les fanfares : le hasard voulut qu’une terrible tempête tonne lors de notre arrivée, bloquant tous les navires au port et empêchant toute manœuvre d’approche. Toute ? Non. Permets-moi de te rappeler que nous avions acquis à un prix des plus monstrueux un artefact censé protéger le Rébecca de telles mésaventures. Cette première mise à l’épreuve fut spectaculaire ! Sa protection provoquait une annulation pure et simple des vents dans son entourage immédiat, offrant au Rébecca une véritable bulle où nous étions certes mouillés mais sans autre inconvénient.

Imagine les regards stupéfaits et les mines ébahies à notre amarrage surnaturellement paisible !

Il est maintenant temps de te révéler notre nouveau plan de bataille que nous avions mis au point durant la traversée. Le Rébecca maintenant solidement équipé, il nous fallait continuer notre quête de sauveur du monde.

Le plan de route était le suivant :

- Voguer aux Monts Coaker pour y prélever une part d’air sur son plus haut sommet, pour les mages de la Couronne de Bluth
- Puis dans le grand nord vers Kaja, longeant la Mer aux Épaves pour, nous l’espérons, trouver dans l’un des navires échoués de quoi remplir un verre d’eau d’un autre monde, pour l’invocation des Sorcières de la Mer (du Diable si je savais comment nous allions connaitre leurs noms et les vaincre !).
- Kaja n’étant qu’une étape touristique (et marchande !), faire voiles sur les Volutes Kehanas pour y trouver une part d’or, toujours pour les mages de la Couronne de Bluth. Gageons que certains voudront la garder !

Tu te doutes bien qu’un tel périple devait se préparer avec soin, chaque étape nécessitant des dispositions particulières.

Déjà pour les Monts Coaker : comme tu le sais, dans son infinie sagesse, notre Glorieuse Lumière avait pris soin d’en interdire l’accès afin de protéger les précieuses mines de fer. Il nous fallait donc non seulement des renseignements sur comment gérer l’expédition aux Monts, mais en plus en avoir l’autorisation expresse. C’est là qu’entrèrent en jeux tous nos contacts à la cour si soigneusement entretenus ces derniers mois.

Je pus d’abord demander un entretien à Phémona, responsable de la ménagerie impériale. Nos échanges précédents avec en plus notre présent du crabe géant vivant achevèrent de la convaincre de glisser un mot en notre faveur à sa Majesté pour qu’il nous accorde son Impériale permission d’accoster le fort de Montano. Elle m’indiqua également la taverne de Keoughs, de la 5e terrasse, près de chez elle. Traditionnel point de rendez-vous des explorateurs, je pourrai y rencontrer Marcus Burns, un humain à la barbe rousse.

J’enchaînai donc aussitôt en me rendant dans ce digne établissement d’un agréable standing et j’eus la chance de l’y trouver. Il me confirma être un des rares à être allé aux Monts et surtout revenu. Il tenta bien sûr de me démontrer la folie de l’imiter : salamandres au corps enflammé, rocs titanesques, volcans éructant leur feu… Nous n’aurions que l’embarras du choix pour notre trépas !

Sur ma forte insistance, il finit par céder et me donna quelques conseils. D’abord, malgré l’altitude, la chaleur sera terrible en raison du volcanisme permanent. Il nous fallait donc prévoir des vivres ne craignant pas la chaleur. Et bien sûr, vu la randonnée, des chaussures solides.

Et surtout, il me donna un nouveau contact, un de ses anciens compagnons de route répondant au doux surnom de La Hyène. Lui seul serait assez fou pour accepter d’y retourner, tant que la paie était à la hauteur.

Pendant toutes ces négociations, mes compagnons ne furent pas en reste. À son corps défendant, Khulag accepta qu’on lui fournisse quelques vêtements lui permettant de circuler dans les lieux civilisés, se faisant passer pour un exotique garde du corps.

Dave alla régler quelques mystérieuses affaires avec les mages de la ville et en revint avec une étonnante nouvelle : le feu faisait maintenant parti de ses attributs. Et ce furent mes yeux qui s’enflammèrent à la pensée de le voir dompter une terrible salamandre ! Voilà réglée une de mes inquiétudes quant à notre expédition.

Quant à notre Capitaine, elle alla à la pèche aux dernières rumeurs, histoire de garder le contact. Elle apprit dans sa taverne habituelle que la Compagnie des Indes, organisation d’importation humaine, commençait à faire des siennes à la Baie des Brigands. Je leur souhaite bien du plaisir !

La Hyène se trouvant à la taverne de la Lamproie, établissement de sinistre réputation (de la 7e terrasse, je te laisse juge…), il était hors de question que je m’y rende. Non pas que mes bottes menaçaient de devenir trop étroite, mais ma réputation à la Cour était bien trop importante pour la risquer en me laissant voir en si déplorable lieu.

Nous décidâmes donc que j’allais laisser ces négociations à la Capitaine et rendre une visite à Jaraquay, trésorier impérial.

Accompagnée de Cataléya, Kulhag et Dave, la Capitaine tint à goûter le cru local avant de se mettre en chasse. Le spectacle dut être impressionnant : un liquide si fort qu’il en attaquait le gobelet bu sans hésitation par toute l’équipe sous l’œil d’abord goguenard du tenancier (un Kehana typique, pour te donner une idée de son caractère), puis impressionné de voir que l’atroce brûlure de son breuvage ne put arracher mieux qu’un léger raclement de gorge.

Ces indispensables obligations sociales remplies, la Capitaine put demander La Hyène. Le tenancier lui indiqua immédiatement une humaine à la peau noire, habillée de rouge et armée d’une rapière et d’une arbalète légère.



Une forte tête des plus orgueilleuses : elle n’accepta de leur parler que s’ils étaient capables de tenir face à sa lame. Cataléya releva le gant avec plaisir et un cercle se forma aussitôt autours d’elles, montrant les violentes habitudes des lieux. Cataléya me raconta par la suite qu’après un premier assaut pour se jauger, elle sentit qu’elle avait face à elle une adversaire à ne pas sous-estimer et décida alors de lui placer une de ses bottes secrètes. Et l’arme de La Hyène se retrouva fichée dans le plafond !

Sans se démonter, La Hyène récupéra son arme et accepta de discuter autour d’un verre. La Capitaine lui décrivit alors nos intentions d’expédition au Monts Coaker, sans entrer dans les détails, les oreilles indiscrètes étant trop nombreuses pour être comptées. La Hyène accepta à la condition d’une paie supérieure à celle du marin ordinaire et une part du trésor. Mes compagnons se gardèrent bien de la détromper sur notre objectif et lui donnèrent rendez-vous sur le Rébecca.

Quant à moi, je pus montrer au trésorier impérial le fruit de notre expédition à Torass Ka. Il fut ravi de voir un si exotique totem enrichir sa collection, et sans doute plus encore d’apprendre que nous ne désirions pas d’argent, mais simplement l’autorisation impériale d’amarrer à Montano. Oui, nous en avions déjà fait part à Phémona, mais vu comme le sujet des mines est sensible, il valait mieux multiplier les appuis pour notre supplique. Jaraquay finit par accepter, à la condition que nous lui rapportions des roches des Monts Coaker. Il faut croire qu’il fait aussi dans la géologie.

Le lendemain, La Hyène se présenta comme convenu baluchon à l’épaule et je pus la prendre en charge. Je lui expliquai sans hésiter qu’il n’y avait pas de trésor à la clef, le but de l’expédition étant strictement scientifique. De plus, un retour à Kiera n’étant pas à l’ordre du jour, il fallait qu’elle se prépare à un voyage dans le grand nord. Mais qu’elle ne s’inquiète pas : en échange, nous lui offrions la paie d’un officier. La Hyène fut satisfaite de cet arrangement et accepta de continuer avec nous, m’assurant sans hésiter de ses compétences pour atteindre les sommets des Monts Coaker.

Il nous fallait maintenant nous préparer à l’étape la plus fraiche. Sondant la place du marché, je pus apprendre que Kaja avait une forte demande en fer, denrée abondante à Kiera ! Je pus donc en emplir les cales du Rébecca, après en avoir vidé nos quelques marchandises restant de nos périples. Hé ! Sauver le monde ne paie pas et il faut bien manger !

De plus, il fallait bien sûr équiper tout l’équipage pour ne pas geler sur la route. Puisant dans la trésorerie, je pus garnir notre poste de chauds équipements, négociés à bon prix comme tu t’en doutes.

Un héraut impérial héla alors le Rébecca, porteur d’un pli scellé pour la Capitaine. Notre passe-droit pour les Monts Coaker sonna les préparatifs d’appareillages. Et, ses voiles gonflées, sa proue fendant les eaux, le Rébecca s’élança vers notre brûlante destination.

Alors que nous voguions vers les Monts Coaker, le moral était tellement haut que le conseil proposa d’aller directement à la Mer aux Épaves. Non seulement nous pourrions profiter de nos cales pleines de nourriture, mais en plus, en cas d’urgence, nous ne serions qu’à quelques jours de Kiera.

Ne voyant pas d’objection, la Capitaine accepta et la proue du Rébecca s’orienta plein ouest. Les prouesses de notre équipage et les nouvelles voiles firent merveille : deux jours plus tard, nous louvoyions en plein dans la zone la plus dangereuse de tout Caribdus.

On ne compte plus les terribles les histoires abreuvant les soirées. Que ce soit dans le plus infâme des bouges ou à la Cour, tu entendras toujours une funeste histoire de malédiction, de terribles Léviathans broyant les coques de navire de leur gigantesque mâchoire, d’errance sans fin sur une mer hostile. Et tous ces contes ont un point commun : la Mer aux Épaves.

Et c’est là que nous étions enfin arrivés, risquant non seulement nos vies, mais aussi nos âmes.

L’atmosphère était des plus pesantes. Le danger rôdait sur une mer trop tranquille, une sourde lumière semblant en émaner, comme annonciatrice de mortels sortilèges, tandis que nous louvoyions entre les navires brisés sur les récifs vestiges des monts engloutis lors du cataclysme qui signa la fin du monde connu il y a à peine quelques années. L’équipage avait peine à se consacrer sur la raison de notre présence : repérer, dans le champ damné des bateaux échoués, une épave venant de l’autre monde où nous pourrons trouver son eau.

Sans doute t’attends-tu à un récit des plus haletants, te contant à quel point tout ce que tu avais pu entendre était en-deçà de la vérité. Et bien pour une fois, je dois te décevoir. Est-ce dû au trop grand désir des conteurs d’impressionner leur auditoire ou une chance insolente, ou bien simplement aux grandes compétences de notre hétéroclite équipage, je ne saurai le dire. Mais sache que nous n’avons pas eu la moindre difficulté !

Oh bien sûr, il y eut bien quelques évènements notables. Khulag buvant la tasse, une tempête se brisant sur le pouvoir de notre talisman, permettant à notre Capitaine d’utiliser ses talents d’oratrice pour requinquer le moral des troupes par notre invincibilité démontrée, et Trix et Dave découvrant une cité perdue.



Eh oui, tu m’as bien lu. Les dieux de la mer furent de notre côté en nous permettant de retrouver une des cités englouties par les eaux décimant notre nation. Et pour le coup, le côté regorgeant de trésors fut véridique ! Pendant des jours, nous alternâmes recherche d’épaves et fouille de la cité. Le butin fut des plus prolifiques, digne des contes faisant briller de convoitise les yeux dans les tavernes ! Juge par toi-même :

- Un orbe d’invocation de dragon des mers
- Un parchemin magique pour Dave
- Une statuette en or, que j’estime à 800 pièces de huit
- Divers bijoux et biens précieux, estimés à 5800 pièces de huit
- La chevalière d’un noble, estimée à 150 pièces de huit, accompagnée du collier de perles de sa femme, estimé à 450 pièces de huit. Mais je compte bien les destiner à leurs descendants à Kiera. Nul doute qu’ils seront me montrer leur reconnaissance bien mieux que n’importe quel faquin de marchand.

Note qu’il ne s’agit là que d’une valorisation brute, sans prise en compte de leur provenance. J’ai en effet bon espoir de les vendre là où serait leur place : un musée. La Capitaine prit donc grand soin de relever avec précision notre position, nous permettant par la suite à l’aide d’anciennes cartes de trouver le nom de cette cité.

Et une question majeure se posa à notre équipage maintenant euphorique : que faire de ces richesses ? En effet, le Rébecca étant maintenant équipé de tout ce que l’argent pouvait lui offrir, nous n’avions guère de raison de le garder en coffre. Il fut donc décidé de changer de système de paie. Sous les vivats et hurlements de joie de l’équipage, il fut décidé d’abandonner le système de paie des marins d’eau douce pour adopter celui des vrais Frères de la Côte : les parts de butin. Nous allions enfin nous enrichir personnellement ! Voilà qui allait donner aux hommes une grande motivation pour les épreuves à venir. Et à moi les nuits folles dans les rues enfiévrées de Kiera !

Avec tout cela, nous étions lourds d’or, mais légers de vivres : celles-ci commençaient à s’épuiser et nous n’avions toujours pas trouvé d’épave satisfaisante. Mais c’est alors que le Rébecca fendait déjà les eaux vers Kiera que Kalas héla la dunette : un navire paraissait enfin de bon aloi. Coincé entre deux épaves, le Maria Terquesa ne laissait aucun doute sur ses origines. Une bonne cible pour notre pillage d’eau.



Hélas, les récifs et les épaves l’entourant ne permettaient pas un abordage direct, et nous dûmes mettre le youyou à la mer.

Louvoyant entre les épaves, nous sentions déjà revenir ce sentiment oppressant de danger et c’est nerveusement que j’inspectais les ombres menaçantes des immenses et sinistres carcasses. Je sentis un frisson glacer parcourir mon échine : d’étranges silhouettes se détachaient de leurs abris. Des Octopons, maudits de la Grande Inondation !



Pas la moindre difficulté ? Oui, j’avais un peu exagéré.